Mets ta tête sur mon épaule…


Ces mots peuvent sembler banals. Et pourtant. Dans notre monde qui partout tient avec de la broche… D’ailleurs, pourquoi notre monde tient-il avec de la broche? Avons-nous dérivé? Avons-nous oublié le plus important : l’humain à côté de nous, humain sur lequel on peut poser notre tête durant quelques secondes?

Depuis les dernières semaines, j’ai pris comme jamais des gens dans mes bras. Et de nombreuses personnes m’ont aussi pris dans leurs bras. J’ai posé ma tête sur l’épaule de plusieurs personnes. Ça m’a fait un bien immense. Le jour des funérailles, mes jambes peinaient à me tenir. J’ai pu m’accoter sur tant de membres de ma famille, sur mon amoureux. Mais aussi sur des ami. e. s.

Pendant les dernières semaines, et même les derniers jours de vie de mon père, j’ai pu poser ma tête sur son épaule, alors qu’il restait étendu, mais qu’il nous accueillait les uns après les autres, et qu’il acceptait qu’on entre dans sa bulle. À d’autres moments, il tenait à se lever, pour prendre chacun de ses petits-enfants dans ses bras. Chacun réagissait d’une façon différente. Peut-être y avait-il un malaise d’approcher de si près la maladie, la mort. D’autres se laissaient aller, dépassant l’image du corps souffrant, étant capable de voir, surtout, les bras grands ouverts. D’une journée à l’autre, l’approche se modifiait. Les corps qui avaient tendance d’abord à se raidir, se ramollissaient et acceptaient la caresse. Qui caressait qui? Car, une étreinte, c’est aussi un partage.

Certaine nuit, il prenait tout ce qu’il avait d’énergie pour se lever et nous tenir dans ses bras : ses 4 filles, l’une après l’autre. À d'autres moments, ce sont ses gendres qui avaient ce privilège.  

J’ai vu, aussi, mon père enlacer son meilleur ami. Deux hommes qui ont eu une telle droiture, une telle réussite à tous les points de vue, tout au long de leur vie; deux hommes qui ont aussi partagé de grandes folies… et de très nombreux fous rires, deux hommes qui ont peut-être été, à une autre époque, plutôt froids… Mais voilà que, depuis déjà plusieurs années, les conventions tombaient. Et que le plus important était de prendre l’autre dans ses bras. Parce que... qu’est-ce qu’il y a d’autres?

Mets ta tête sur mon épaule… la première fois que mon amoureux a entendu cette chanson, il m’a dit : on dirait que c’est la suite de « Un p'tit tour ». Chanson qu’on a chantée à notre mariage, notre toune de couple. « Viens donc faire un p’tit tour dans mon appartement fret, pis si demain tu m’aimes encore, j’ferai peut-être réparer la chaufferette. » L’amour a l’état pur. Qui n’a pas besoin de rien. Qui se faufile, même à travers des murs de carton, même quand il n’y a rien dans le garde-manger…  « Mets ta tête sur mon épaule » surgissait après plusieurs années de vie de couple, mais conservait le même esprit. L’amour qui traverse le temps, l’amour qui survit lorsqu’on peut simplement poser notre tête sur l’épaule de l’autre.

Et cette chanson, on l’a chantée à maintes reprises, depuis 2020, entre autres, lorsqu’on a fêté les 50 ans d’amour de mes parents, le 24 septembre dernier…  «Mais, ce soir, je l’ai vu, le mouchoir de larmes dans ta poche… j’aime pas ça savoir que tu tiens avec de la broche… ça fait 50 ans et des poussières qu’on fait face au vent d’hiver, ensemble on n’a peur de rien… »

Quelques jours plus tard, on chantonnait cet hymne dans la chambre de mes parents. Mon père dans son lit, les yeux fermés. Ma mère à ses côtés…   les larmes qui glissaient sur les joues de tous… mais qui avaient assurément une lourdeur différente sur celles de mes parents. Celles de mon père, car il savait qu’il devait nous quitter. Celles de ma mère, car elle savait que les jours étaient comptés. Que cette épaule ne serait plus là, à ses côtés…

Car, l’épaule la plus précieuse est incontestablement celle de l’être aimé. Notre grand amour. Mon père et ma mère ont pu à tour de rôle déposer leur tête sur l’épaule de l’autre. Mon père aurait tellement voulu rester et pouvoir offrir à jamais son épaule à ma mère… Ma mère aurait tellement souhaité que mon père puisse poser sa tête sur la sienne, encore et encore.

Alors, si le plus important, c’est l’épaule de l’autre, pourquoi nous perdons-nous dans notre société de surconsommation, de surstimulation? La vie fait en sorte que mon père et Karl Tremblay décède à quelques semaines d’intervalles, tous deux d’un cancer. Mon père, à 71 ans. Karl Tremblay, à 47 ans… Mon père qui affectionnait tant les 7… 

J’étais présente lors du spectacle des Cowboys fringants à St-Jean-sur-richelieu. Moment précieux qui restera gravé dans mon cœur. Malgré tout, durant cette soirée, j’ai aussi vu tellement de gens irrespectueux, individualistes, j’ai aussi vu une marre de déchets lorsque la foule s’est retirée… Et je me suis demandé si les gens écoutaient les paroles des chansons des Cowboys; s’ils les vivaient?   

Ça prend un village pour élever un enfant…  Je me suis également dit, durant les dernières semaines, que ça prenait un village pour accompagner quelqu’un vers la mort… Et maintenant, j’ajouterais que ça prend un groupe des plus puissants et influents pour changer de tout petit geste…  

Si on peut à tout le moins, comme société, se souvenir de simplement oser déposer notre tête sur l’épaule de l’autre. Et, oser, simplement, offrir notre épaule. Rien de plus. Amour et étreinte. On réussira sûrement à vivre dans un monde meilleur.

Et cela me ramène, à l’une des dernières histoires que mon père m’a racontées…celle de Louis Philippe Paré, cet homme qui a donné son nom à une école secondaire à Châteauguay. Cet enseignant qui impressionnait mon père lorsqu'il était enfant, par sa prestance, ses connaissances et même sa calligraphie, était venu au salon funéraire lorsqu’à 12 ans, il a perdu son père alors âgé de 41 ans. Cet homme l’avait alors pris dans ses bras. Mon père m’a raconté le malaise qu’il a d’abord ressenti. C’était la première fois de sa vie qu’un homme le prenait dans ses bras. Au début des années 60, c’était peu commun qu’un homme enlace un garçon, un jeune adolescent… Qu’est-ce que les gens allaient penser?  Pourtant, cette étreinte a dû lui faire le plus grand bien, pour qu’il m’en parle 59 ans plus tard…  Pour qu’il se souvienne que le simple fait de prendre quelqu’un dans nos bras peut faire toute la différence… 

Mets ta tête sur mon épaule pour que mon amour te frôle, toi qui en as tant besoin.

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