19 juillet 2025: Mon bel autobus s'en est allé...
Une ultime tisane dans mon bel autobus.
Mon cœur se
tord. Mes yeux s’emplissent de larmes. J’ai peine à croire que cette aventure
prend fin, déjà…
Demain, une
autre famille partira avec Bleu Nomade.
On sait que
c’est parfait. Que Bleu Nomade doit reprendre la route. Mais, je croyais que ça
prendrait plusieurs mois, voire peut-être même une année pour trouver une
nouvelle famille à Bleu. Il y a beaucoup d’autobus à vendre et bien peu d’acheteurs
dans cet univers. D’autant plus avec la conjoncture avec les États-Unis.
Mais non, un
après-midi de visites et c’était réglé. Pas tout à fait parce qu’on s’envolait
vers l’Italie pour rejoindre Charline après ses 10 mois là-bas, et qu’on n’avait vraiment pas envie de
précipiter quoi que ce soit. On souhaitait surtout que Charline puisse s’assoir
une dernière fois dans notre autobus.
À travers ces semaines, Ali et moi, on a versé tellement de larmes… et ce n’est pas fini. Comme s’il s’agissait d’un
réservoir sans fin. Les autres filles aussi ont beaucoup de peine, mais elles
le montrent moins, différemment.
L’autobus
qui part, c’est surtout le signe du temps qui passe. Et qu’il faut, chaque jour, profitez de la vie.
On dirait que
c’était hier qu’on était ancré dans une baie des Bahamas. Eric discutait avec d’autres
capitaines de bateau en mentionnant qu’il avait toujours rêvé d’ouvrir la porte
d’un autobus scolaire; qu’il rêvait de vivre dans un autobus avant même de
rêver à naviguer sur un voilier. Il n’était pas le seul. J’avais trouvé ça
vraiment étrange comme rêve de p’tit gars : mettre la main sur la fameuse poignée
qui permet d’ouvrir la porte comme tous les chauffeurs de notre enfance.
Pendant les
longues journées de navigation dans l’intracostale, sur le chemin du retour,
Eric s’était mis à dessiner les plans d’un autobus. Cette idée plaisait
particulièrement aux filles. Elles avaient alors 11, 9, 7 et 6 ans. Toutes
petites, mais déjà grande après un an à vivre sur l’eau. C’était en 2017. Le dessin est demeuré dans
un cahier.
Deux étés
plus tard, on savait que pour conserver un voilier, il faudrait avoir davantage
de temps pour partir, aller plus loin encore. Et, une famille était intéressée
par notre voilier, un des rares qui avaient 3 cabines sur le lac Champlain.
On a été triste
de laisser Perla. J’ai pleuré aussi. Je ne pouvais pas croire que c’était la
dernière fois que je revenais sur terre en dinghy. Mais, c’était la fin de la saison. C’était l’automne
et mon cerveau acceptait qu’on ne fasse plus de voile… Le printemps suivant, c’était la pandémie. Même si Perla avait été encore notre bateau,
on n’aurait pas pu naviguer. C’était un mal pour un bien.
Déjà, l’automne
suivant, en 2020, on achetait un autobus jaune. Oui, oui, un autobus scolaire avec
des bancs et tout et tout, même des gommes collées un peu partout.
Quelle idée. Quel projet de fou. Ah, les idées de mon chum, parfois.
J’ai souvent été découragée. J’ai souvent trouvé que ça n’avançait pas assez vite.
Il y en a eu
des discussions, des questionnements et aussi des tensions.
Mais, il y
avait tout un engouement, une mobilisation de nos filles. Elles étaient
vraiment impliquées, à différents niveaux, mais elles étaient là, fin de
semaine, après fin de semaine. À grinder de la rouille, couper des bancs,
installer le plancher, dessiner les plans, participer à la fabrication des portes
d’armoires, coudre les rideaux, les moustiquaires…
Il a fait beau durant cet automne. Beau et chaud, et on avait la chance de pouvoir travailler sur le terrain de mes beaux-parents.
Il y a de ces petites étincelles de bonheur inexplicable. Malgré la saleté, la complexité, j’étais heureuse d’être là avec mon chum et mes filles... et aussi Luna, bien sûr.
Je crois que même l’hôtel le plus luxueux ne peut égaler ces petits moments de bonheur futiles.
Quand il s’est mis à faire plus froid, on mangeait notre lunch par terre dans l’autobus ou sur un ancien banc, près du chauffage. Et on était bien, tout simplement.
Et puis, les
fins de semaine se sont enchainées, avec des moments d’encouragements et d’autres
de découragements. Notre fameux installateur de propane qui nous a fait tant rager
et qui a fait en sorte qu’on n’a pas pu sortir une seule fois avec notre bus en
2021.
Mais chaque étape terminée nous disait qu’on finirait par y arriver.
Et lorsqu’on montait
sur le toit, on savait qu’un jour on y aurait une terrasse… et que tout serait magique vu d’ici…
La certification VR de la SAAQ a été obtenue en octobre 2021; il ne resterait plus qu’à
peinturer l’extérieur ( qui était alors sur le primer) et à faire la finition
au printemps suivant. Le plus gros était derrière nous. On pensait…
On a eu un
printemps de fou, parce que la finition, c’est toujours plus long que prévu et
qu’à travers tout ça, il fallait aussi vider notre maison et préparer notre voyage
d’un an. La vie continuait, aussi, pendant ce temps-là avec le travail et 4 enfants.
Dans toute cette
folie, Ali a pu aller à son bal en autobus; Charline et ses amies ont pu
revenir de leur dernière journée d’école avec Bleu Nomade… Mais, Eric trouvait
que la pédale à frein ne revenait pas comme à l’habitude… jusqu’à se qu’on se rende chez mes parents à
Sherrington pour les derniers préparatifs. Après un appel à Marc, l’amoureux de sa
cousine, mécanicien… le verdict est tombé. On a perdu ce qu'il restait du liquide à frein, en reculant dans la longue entrée de mes parents, on a donc plus du tout de frein… On avait été
chanceux de se rendre jusqu’ici…
Ah… c’est
qu’en principe, on part dans deux jours?!
Course
folle jusque chez Girardin pour avoir les pièces pour changer les calipers et les lignes de freins avant. Marc a été notre sauveur de
dernière minute.
Mon père s’est
toujours montré confiant dans tous nos projets. Je sais, quand même, qu’il y a
une part de lui qui s’inquiétait quand on est parti en bateau… et je sais qu’il
se questionnait également sur notre autobus. Ma mère aussi.
Ils nous
ont dit au revoir sûrement en priant pour que notre Bleu Nomade nous mène à bon
port et qu’il nous ramène. Mon père était alors en santé. Même si je le sentais
plus inquiet qu’à l’habitude.
Et l’aventure
s’est amorcée. Avec le bonheur d’être nomade… et aussi avec les moments plus
pénibles dans les trucks stop.
Mais, on
était tous les 6, c’était le plus important.
On espérait
que mes parents nous rejoignent au Mexique. C’était le plan. La réalité, aussi
triste soit-elle, nous rattrape parfois. En janvier, mon papa apprenait qu’il
avait un cancer incurable.
Les
questionnements se sont enfilés, alors qu’on tentait de tenir sur nos planches de surf, et qu’on terminait nos journées en admirant le coucher du soleil sur
le Pacifique.
On va à
gauche ou à à droite? Nos filles se souviendront probablement toute leur vie d’un
moment particulièrement intense arrêté en bordure de la route, alors que j’étais
incapable de trancher, on continue vers le Chiapas ou on prend la direction d'Oaxaca…
Pourtant, la veille la décision avait été prise…
Le cœur se
déchire lorsqu’il y a l’objectif d’un côté et un être si cher qui est malade de
l’autre. Et à tout cela, s’ajoutent les inquiétudes pour notre gros autobus… et si l’on mettait la vie de nos enfants en
danger?!
On a
continué tout droit, parce que c’était le souhait depuis le début et aussi
parce qu’on savait qu’on réussirait peut-être à rattraper des amis rencontrés
en bateau 6 ans plus tôt: One Life, c’était le nom de leur bateau… mais
le nom de notre bateau nous colle longtemps à la peau… et en dit long.
L’humain
fait toujours pencher la balance. Et voilà qu’on a pu découvrir le Chiapas en
leur compagnie, y vivre des moments magiques alors que les singes hurleurs se
baladaient au-dessus de notre Bleu Nomade.
Notre
remontée vers le nord s’est amorcée, avec les aléas de la vie, en sachant ce
que ça signifiait de rentrer au bercail, bercail qui ne serait plus jamais le
même.
Marcher
dans les corridors du CHUM avec mon père en jaquette d’hôpital, observer les
bateaux sur le fleuve, en juillet. Mon père, me racontant à quel point il avait été
chanceux de faire toutes ces folies avec ma mère. À quel point, c’était
extraordinaire de « tomber en vacances » et de partir sur l’eau ou
pour n'importe quelle escapade. Étrange sensation d’être conscient que ces
moments ne reviendront plus jamais, alors que mon père un an plus tôt, franchissait le
cap des 70 ans, en santé et toujours avec le goût de l’aventure. Mais, mon père
était en paix, parce qu’il avait toujours fait ce qu’il avait envie de faire…
Quelques
mois plus tard, mon père rendait son dernier souffle en plongeant son regard
dans celui de ma mère, dans le confort de sa belle grande maison construite de
ses mains, avec son grand amour.
Mon père
nous a appris à être "sage", mais à vivre pleinement toutes les
folies qui nous interpellent. Il a toujours vécu ainsi. Je sais qu’il s’est surement
questionné sur nos projets, mais jamais il ne nous a dit un mot pour nous
décourager de nos drôles d’idées. Au contraire. Il savait qu’en plongeant dans de
tels projets, on pouvait se retrouver dans de mauvaises postures… il l’a lui-même
souvent vécu, mais le plus important était d’avoir confiance… et les solutions
surgissaient… et qu’au-delà de tout ça, le plus important était de vivre. Vraiment.
L’hiver a
été triste, et long. C’est triste de perdre un papa. Même quand on est adulte. Et le printemps est revenu, ainsi que Bleu Nomade
qui était entreposé à l’intérieur à l’abri des tempêtes. Une escapade dans
Charlevoix nous a fait renouer avec le bonheur de vivre dans un tel cocon, même
s’il nous manquait Ali.
Et voilà
que par une belle soirée d’été, le cœur du grand ami à Eric (et aussi, mon ami,
bien sûr - son partner de police des 20 dernières années) cessait de battre. Comme ça,
sans prévenir. Et notre cœur arrêtait aussi, un peu. Comme j’aurais voulu prendre la douleur de ses
filles et de sa conjointe, le temps d'un instant. Comment continuer sa route quand on perd un papa quand
on est ados et jeune adulte? Il n’existe
pas de réponse. Il y a seulement la vie qui se poursuit, mais qui éclate aussi
par moment, à travers la peine, la douleur, la colère et
les incompréhensions. Il y a un chemin cahoteux, sur lequel on n'a pourtant pas le choix de continuer. Mais peut-être qu'on peut s'arrêter un moment pour laisser passer la tempête. Le chemin demeure. Et on pourra toujours reprendre la route lorsque notre coeur se sera apaisé, lorsque le voile d'eau se dissipera devant notre regard.
Et pendant ce temps, Bleu nous
attendait patiemment, dans notre entrée de banlieue. Il
fallait le préparer pour partir sur la Côte Nord. Tous les 6, le temps de
quelques journées où tout le monde avait réussi à avoir congé.
À notre
premier arrêt, le lendemain des funérailles, le cœur lourd, j’ai constaté
encore une fois la chance d’être en vie, et d’être tous les 6. On ne sait
jamais de quoi sera fait le lendemain. Mais aujourd’hui, on était sur le bord d’une
petite rivière et la journée se terminait avec un ciel orageux qui laissait la
place au rayon du soleil. Parce que c’est
simplement ça la vie… et c’est simplement ça, tout projet, tout rêve… parfois, il
y a des tempêtes, mais le soleil revient toujours. Et tant qu’on est en vie, on
se doit de vivre.
On n’a pas
le droit d’être mort en vivant. Même si on sait que la mort un jour nous
prendra, même si parfois la mort de ceux qu'on aime nous ébranle jusqu'au plus profond de notre être.
Dans cet
autobus Bleu, il y a tout ça. Beaucoup d’amour, énormément de travail, beaucoup
de questionnements et d’inquiétudes, mais surtout beaucoup de vie. Tellement de vie.
Il y a eu ces nuits entourées de barbelés dans un garage de San Francisco, des nuits dans des trucks-stop beaucoup trop bruyants, des matins à se faire klaxonner; mais il y a eu ces nuits au bord du lac Abraham, du lac Powell, dans les rocheuses, à Yosemite entouré de montagne comme des rochers sacrés, aux abords du Pacifique, avec des tortues si près de nous, dans la jungle du Chiapas avec les singes. Des matins, des apéros et des soupers sur le toit de notre autobus, tous les 6, dans des décors toujours différents. Ainsi que toutes ces précieuses rencontres, improbables pour certaines, lorsque la vie de bateau rencontre la vie terrestre.
Voilà, la
vie, avec tout son relief.
Bleu Nomade
en contient tellement, de vie et de relief. Ouf! Cela aurait été une belle
grande aventure, avec tous les moments de bonheur, mais aussi avec la douleur
et la peine qui a surgi face à la perte de gens qu’on aime, qui ont marqué
notre parcours de vie.
On tourne la
page d’un chapitre précieux qui demeure en nous à jamais. Quelques pages blanches
sont nécessaires. Pour faire le vide. Avant d’amorcer un autre chapitre. On tentera d'y dessiner une autre histoire. Sur un fond bleu.
| Jour 1 de la conversion: octobre 2020 |
| 18 juillet 2025, 7h30 am, on réussit à avoir tout le monde avec Bleu, pour une dernière photo |
Mon bel autobus s’en est allé, le 20 juillet. Avec à bord une autre petite famille qui lui fera vivre de nouvelles aventures. On leur souhaite tout le bonheur du monde.



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