Histoire de police et eau de Cologne.





 

J’entre au MEC de Kelowna. Avant de vous raconter cette histoire, laissez-moi vous dire que depuis notre arrivée à Kelowna dans la vallée de l’Okaknagan, je trouve cette ville déstabilisante. À notre sortie des rocheuses et notre marathon de randonnées, Kelowna est notre premier contact avec une grande ville digne de ce nom.   Je ne m’attendais pas à ça. 

 

En cherchant un endroit pour se stationner, nous sommes passés dans un quartier industriel. C’est plusieurs dizaines de personnes qui sont attroupées le long d’une clôture qui semble définir un endroit réservé pour les « sans domicile fixe ». Même si, dans le cadre de mon travail, je côtoie souvent cette détresse, il est toujours surprenant de voir un campement de plusieurs itinérants. Je sais que la ville de Vancouver a plusieurs défis a relever avec cette population, possiblement que Kelowna en a également.  

 

Nous nous trouvons un stationnement près d’un parc, où il est facile de garer l’autobus, afin d’aller marcher sur le Boardwalk au centre-ville.

Je disais que cette ville est déstabilisante. Elle me fait penser à un mini Fort Lauderdale ou Miami : de belles tours de condo, des hôtels luxueux avec piscine, une belle plage, beaux restaurants et des petits canaux où les gens amarrent leur bateau à l’entrée de leur condo.  

Je m’attendais plus à une ville avec plein de stands de fruits en bordure de la route avec des tonnes de cerises et pêches à vendre. À peine stéréotypée.

Après 2 journées passées à observer cette ville, nous partons afin d’aller dans un petit vignoble pour déguster quelques vins et y passer la nuit. Chemin faisant, nous arrêtons au MEC (Mountain Equipment Coop, un magasin de sport pour ceux qui cherchent encore c’est quoi MEC) de Kelowna, car Alixia a besoin de bottes de marche et pour gravir des montagnes, c’est important des bottes de marche.

Je rentre donc au MEC de Kelowna et je suis encore déstabilisé. À l’entrée, il y a un gardien de sécurité avec une veste pare-balle. Je jette un coup d’œil autour de moi et oui, je suis bien dans un magasin de sport, et non pas dans une banque. Je me demande bien pourquoi il y a un agent de sécurité, mais en observant de plus près, je vois bien qu’il n’est pas armé et n’a aucun outil avec lui et que sa veste pare-balle fait plutôt office de gaine. Je me dis alors que c’est probablement à cause de la problématique d’itinérance que cet agent de sécurité est engagé.

Après une courte séance de magasinage avec Alixia et en attendant aux caisses, je remarque un individu assez louche derrière nous. Cheveux décoiffés, allure négligée, titubant de gauche à droite.  À quelques moments il semble s’endormir debout avec la bouche ouverte, bref, je me dis que c’est possiblement pour des gens comme lui que l’agent de sécurité été embauché.  Comme de fait, l’agent de sécurité le fixe avec les bras croisés d’une façon loin d’être subtils.

 

Nous payons et quittons le magasin et j’ai déjà hâte de déguster les différents vins qui nous seront offerts a la Sperling Wineyard.  De retour à l’autobus, les filles me disent que Cynthia est encore a l’épicerie à côté du MEC alors je m’empresse d’aller la rejoindre.  Je repasse donc en face du MEC et je vois cette scène à la sortie du magasin:

 

L’individu louche à l’allure négligée est en train de se battre avec un client qui tente de lui enlever des mains un sac à dos.  Une femme derrière est en train de crier et un agent de sécurité incertain de son rôle hésite entre intervenir et rester à l’intérieur des portes et filmer avec son cellulaire.

 

J’ai, plusieurs fois dans ma carrière, assisté à des scènes un peu cacophoniques comme celle-là et c’est fou à quel point une scène si courte nous donne beaucoup d’informations, lorsqu’on met bout à bout nos observations.  Alors voici ce que je comprends de la scène.

 

L’individu louche, vraisemblablement itinérant, a tenté de voler un sac à dos.  L’agent de sécurité a probablement comme consigne de ne rien faire et de juste appeler la police s’il y a un problème.  L’homme est client du magasin, voyant que l’individu partait sans payer et que l’agent de sécurité ne ferait rien, a décidé d’agir et a arraché le sac des mains du voleur.  Ce dernier, visiblement en état de consommation quelconque, décide de répliquer en frappant le client et en lançant des roches à sa femme.

 

En temps normal, je suis du genre à me mêler de ces affaires-là, d’intervenir, c’est plus fort que moi. Police un jour, police toujours.  Mais aujourd’hui, puisque mon uniforme se résume en short de maillot, t-shirt et gougoune, je me garde une petite gêne.  Surtout que la dégustation de vin m’appelle plus qu’une intervention physique.

Je m’approche tout de même pour prêter main-forte si jamais. 

Après quelques secondes, la bataille se termine, le suspect quitte sans son butin et l’agent de sécurité rapatrie le client, sa femme et les employés du MEC à l’intérieur.  J’observe l’homme s’éloigner à pied et qui semble se parler à lui-même.  J’approche les portes du magasin pour voir si quelqu’un a besoin de soin quand je vois le suspect revenir.

 

C’est alors que je mets à profit toute mes connaissances et mon expérience sur la communication, la désescalade de personnes en crise et tout mon côté travailleur social.  Il faut également comprendre que ces échanges se déroulent dans un anglais approximatif entre un vacancier qui a comme objectif principal de déguster des vins et un voleur de sac intoxiqué à la prononciation discutable.  J’en comprends qu’il désire entrer dans le magasin, car il a oublié une boite d’eau de Cologne à l’intérieur du MEC (qu’il a fort probablement volé au La Baie de l’autre côté de la rue).  Pendant quelques minutes, je prends le temps de parler avec lui en lui disant que ce n’est pas une bonne idée d’entrer à l’intérieur, qu’il serait mieux d’attendre un peu.  Je m’intéresse à lui, à savoir s’il habite dans le coin s’il a de la famille, des amis, mais lui a comme seul intérêt d’entrer à l’intérieur et récupérer sa boite d’eau de Cologne.  L’homme s’est calmé devant moi et on peut avoir un semblant d’échange.  L’agent de sécurité, les employés et les clients m’observent derrière la porte vitrée du MEC tel un dresseur qui réussit a dompter un cheval sauvage. 

 

Il y a un moment dans ce genre d’intervention où une espèce de confiance mutuelle se crée.  Ici, c’est quand l’homme m’a demandé si moi je pouvais aller chercher sa bouteille d’eau de Cologne.  J’ai vu une illumination dans ses yeux, on dirait qu’il avait tout compris: il ne pouvait entrer à l’intérieur, car il avait causé du trouble, mais moi, son nouvel ami, son « BRO » ,je pouvais lui rendre ce service.

 

J’ai pensé une demi-seconde lui dire oui, ça serait simple et ça réglerait tout: j’entre à l’intérieur, je prends la bouteille d’eau de Cologne et le donne a mon « BRO », il part et me voilà le héros du MEC de Kelowna… mais non.

Ma conscience me dit: premièrement, c’est sûr que c’est volé cette eau de Cologne là, deuxièmement, je ne peux pas toujours donner raison à ce genre d’individu qui fout le trouble partout, troisièmement, j’ai hâte que ça finisse cette histoire-là, j’ai du vin à aller déguster.

 

Il y a des moments dans ce genre d’intervention où il suffit de quelques mots pour défaire une confiance et moi c’est quand j’ai dit: «  No sorry man, I’m not gonna go inside to take your cologne »  C’est en plein à la fin de cette phrase que l’homme s’élance sur moi et me frappe d’une solide droite au visage.  J’ai à peine le temps de ramasser ma casquette et de m’assurer que mon nez est toujours à sa place que je vois mon « Bro », hors de lui, frapper à coup de poing et pied dans la vitrine du MEC.

 

Il y a des moments dans ce genre d’intervention où on n'a pas le choix de se rendre là.  C’est donc avec Kevin, un ancien militaire qui passait par là au même moment que j’ai pu maitriser mon « Bro » jusqu’à l’arrivé de la police, couché par terre, bras dans le dos sous l’oeil attentif de l’agent de sécurité qui filmait la scène avec son cellulaire. 

 

La police a pris plusieurs minutes à arriver en ce dimanche après-midi ensoleillé.  C’est pendant cette attente que j’ai pu parler avec mon Bro qui s’était calmé et était moins menaçant.  Bryan, 19 ans, est sans domicile.  Il était en manque de fentanyl.  C’est pour ça qu’il avait volé l’eau de Cologne et le sac.  Il n’a plus de famille, ses parents sont décédés, son seul ami est un autre itinérant consommateur qui squatte la fonderie, possiblement une ancienne usine dans le secteur industriel de Kelowna.

À l’arrivée des policiers, ils ont tout de suite reconnu Bryan, un habitué.

 

Je suis finalement retourné à l’autobus stationné un peu plus loin avec mon icepak sur l’oeil gracieuseté du MEC.  Nous nous sommes dirigés au vignoble pour une mini dégustation de vin, tant attendue.

Malgré cet après-midi fort en émotion et un oeil au beurre noir, je me suis assis dans ce vignoble avec ma famille pour manger notre souper avec un bon verre de rosé.  Je n’ai pu m’empêcher de penser que j’étais bel et bien dans ma gondole alors que Bryan lui, tente de gravir la montagne et que clairement, il n’a pas de bottes de marche.  Ça tombe bien ils en on chez MEC…

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